Né(e) : 1953 à Podor (Sénégal)
Pays : Sénégal
Langue : Anglais / Wolof
Qualité : Auteur / Chanteur / Compositeur
Genre musical : musiques du monde
Les projets de Baaba Maal
Il n'est jamais à court d'idée ! le musicien sénégalais Baaba Maal vient de dévoiler à Nouakchott son nouveau projet, un travail retraçant l'histoire de l'Empire du Mali, regroupant la sortie d'un album de musique, un livre de photographies et un DVD d'interviews. Une façon pour cet artiste de sensibiliser la jeunesse africaine à son histoire : tout un programme !
Musique sénégalaise
Ablaye Thiossane Ndiaye, griot afro-cubain
Festival Africajarc
© Ariane Poissonnier
01/08/2011 -
Pendant quatre jours, Cajarc a revêtu ses habits africains pour la 13e édition d'Africajarc, festival qui veut "montrer par les arts plutôt que par les larmes l'essor d'un continent". Le jour, littérature, cinéma, contes et expositions habillent ce village médiéval du Lot, dans le sud de la France. Quand le soir tombe, place à la musique. Le 29 juillet, le spirituel Sénégalais Omar Pene et les énergiques Guinéens des Espoirs de Coronthie ont habité une grande scène auparavant frissonnante des rythmes afro-cubains d'Ablaye Ndiaye, un toujours vert musicien de… 75 ans !Ablaye "Thiossane" Ndiaye est un griot. Le Sénégalais n'emploie pas ce mot par facilité de langage, comme le font parfois certains musiciens ou journalistes. Non, Ablaye est un griot et il sait comment les siens le sont devenus. Sous la tente des loges d'Africajarc, le voyage commence... "Je suis griot de Cayor, mais mes ancêtres ne l'étaient pas. Ils appartenaient à la famille des rois du Djolof, un royaume qui couvrait le territoire des actuelles Gambie et Guinée-Bissau jusqu'aux pays sérère et toucouleur. Quand le roi Ndjadja Ndiaye est mort, le nouveau roi décida de tuer tous ceux qui se nommaient Ndiaye. Alors mes ancêtres se réfugièrent dans le Cayor, où ils entrèrent dans le groupe des griots, ces conseillers des puissants qui racontent et chantent l'histoire... "
De fait, on pourrait écouter des heures Ablaye Ndiaye transmettre l'histoire de sa lignée, mais aussi la trame de chacune des chansons, de chacun des contes que sa mère lui disait le soir... Il a la mémoire fabuleuse de ces autodidactes dont la soif d'apprendre est étanchée par une attention de tous les instants qui leur permet d'emmagasiner une énorme quantité d'informations... "Ma mère m'a donné l'histoire de Lat Dior, le damel du Cayor qui, au temps du gouverneur Faidherbe, ne voulait pas laisser les Français construire le chemin de fer Dakar-Saint-Louis, conscient que ce serait la porte ouverte à leur domination. Il fit la guerre aux Français pendant huit ans et mourût le 6 octobre 1886. Comme j'aimais cette histoire, j'ai créé une chanson." Lat Dior est l'un des neuf titres de Thiossane, le premier album d'Ablaye Ndiaye à paraître en France.
Cela fait pourtant près de cinquante ans que cet artiste sénégalais compose et joue. Mais lui qui voulait être chanteur aimait aussi beaucoup le dessin. Il s'est formé à cette discipline en copiant les affiches des films diffusés au Sénégal, et il se souvient de chacune. "J'ai copié toute la série des Tarzan avec John Weismüller : Tarzan trouve un fils, Tarzan et la femme-léopard, Le Trésor de Tarzan... Puis il y a eu Jean Gabin dans La Bandera, Michèle Morgan dans Fabiola, des films arabes avec Farid El Atrache, Samia Gamal et Nour El Houda... J'ai copié aussi des affiches de films hindous comme Mangala, des films japonais comme Godzilla avec Hiko Tani..."
Autant de films qui lui donnent "beaucoup d'histoires dans la tête" ! Et beaucoup d'images aussi : Ablaye Ndiaye sera finalement peintre cartonnier à la Manufacture de tapisseries de Thiès. Ses œuvres se retrouvent aujourd'hui aux quatre coins du monde grâce à l'exposition Art contemporain du Sénégal initiée par le président Senghor. "Senghor, se souvient l'artiste, a aussi amené beaucoup de personnalités à Thiès, d'Aimé Césaire à François Mitterrand en passant par le Malien Modibo Keita ou le Tchadien Ngarta Tombalbaye..."
Cette carrière dans les arts plastiques n'empêche pas le griot de composer. Son titre Talene Lampe Yi - également sur Thiossane - fût ainsi l'hymne du premier festival des Arts nègres de Dakar, en 1966. Premier titre de l'album, Aminata Ndiaye, qui évoque les problèmes que pose la désobéissance à son mari d'une épouse, a été composé en 1963 et interprété par Souleymane Faye ou, en 1984, Youssou N'Dour.
Ablaye précise : "Pour la musique, après Dieu, je remercie toujours Tino Rossi, dont j'ai écouté Marinella ou Petit papa Noël sur le phonographe que mon père avait acheté !" Un phonographe grâce auquel il découvre aussi la musique cubaine du Septeto Habanero, avant d'admirer, au cinéma, "Luis Mariano, Le chanteur de Mexico, et surtout O Cangaceiro, le film brésilien qui fut distingué au festival de Cannes en 1953". Et Ablaye Ndiaye d'interpréter a cappella, dans la loge d'Africajarc, un air de la BO du film... Instants de grâce !
Avant de monter sur la scène située à quelques mètres du Lot, l'artiste a encore le temps de remercier le producteur Ibrahima Sylla, qui "écoutait [ses] chansons quand il était jeune", de lui avoir demandé en 2004 d'enregistrer ce qui deviendra Thiossane. Les festivaliers d'Africajarc ignorent ce que l'artiste doit à Dieu, Tino Rossi et Ibrahima Sylla, mais cela ne les empêche pas de se laisser très vite emporter par les rythmes entraînants d'Ablaye Ndiaye et de ses musiciens.
Ablaye "Thiossane" Ndiaye, en concert au New Morning à Paris le 3 novembre 2011.
Ablaye Ndiaye Thiossane (Syllart productions/Discograph) 2011
MySpace d'Ablaye "Thiossane" Ndiaye
Présence africaine en France présente des artistes originaires du contient africain aux univers très divers. Quel est le fil conducteur de cette exposition ?
Les artistes présentés dans cette exposition ont en partage une expérience politique et historique. Ils ont un tronc culturel commun qui sont les sources africaines, l'expérience coloniale et post coloniale ainsi que l'expérience post-moderne pour les caribéens. Ayant tout cela en partage, l'on retrouve forcément dans leur travail cette expérience commune qui constitue un peu le fil rouge de l'exposition. De plus, au regard posé sur les évènements que la France a traversé depuis les émeutes qui se sont déroulées dans les banlieues en novembre 2005, il nous a semblé intéressant, avec Guy Lenoir, directeur de MC2a, de questionner la création artistique de la diaspora africaine en France dans sa visibilité ou son invisibilité et dans sa présence ou son absence du marché.
Dans ce contexte et au delà de la référence à la célèbre revue, le choix du titre de l'exposition est loin d'être anodin, il ferait presque figure de manifeste…
La formule d'une "présence africaine" forgée il y a en 1947 par Alioune Diop, reste absolument valide. La modernité nous incite à y mettre un pluriel qui ne s'imposait pas à l'époque. Et cela est important car la formule de Diop est liée à une volonté d'unification politique du continent africain, à travers les mouvements d'indépendance mais aussi de structures continentales comme l'Oua (Organisation de l'unité africaine) de l'époque. L'idée du panafricanisme, au lieu de dire que nous avons des cultures dit que nous partageons une culture. Quand on lit les actes du Congrès des écrivains et artistes noirs dont le cinquantenaire a été récemment célébré, on mesure à quel point le débat autour de la question d'appartenance ou de non-apartenance à une même culture a été fondamental pour ses participants.
Ce choix de titre s'inscrit presque en porte à faux avec la politique ambiante qui tend à repousser cette "présence africaine en France". Y-a t-il une dimension politique dans ce choix ?
Oui mais je ne veux pas tomber dans le piège de réduire cette démarche à une couleur de peau dont on sait parfaitement qu'elle ne fait référence à rien d'autre qu'à un épiderme. On voit ça tous les jours sur la scène médiatique. Dans cette exposition, on parle de culture, on parle d'art, on parle d'expression, on parle d'âme et on ne peut donc pas s'enfermer dans une couleur de peau. La notion d'Afrique et de matrice africaine devient opératoire. Elle nous pousse à réfléchir avec toutes nos armes et avec toute notre mémoire.
Cette exposition se pose t-elle avant tout comme une volonté affichée de favoriser la reconnaissance des artistes qui ne peuvent pas s'imposer réellement ?
Cet état de fait pourrait s'appliquer d'une manière générale à tous les cercles professionnels L'émergence de ces artistes est difficile au même titre qu'elle peut l'être pour toutes les personnes issues d'une minorité en France. Le choix des artistes présents dans cette exposition affiche aussi une volonté d'échapper à cette crise de jeunisme dans laquelle on est tous plongés en France. En dehors d'Amahigueré Dolo et d'Abdoulaye Konaté, nous sommes en présence d'artistes qui ont développé, depuis vingt ans, tout leur savoir faire et leur virtuosité artistique en France et c'est extrêmement important pour comprendre dans quelle configuration on se place. Il ne s'agit pas d'artistes débutants et c'est en cela que les choses sont très préoccupantes par rapport à leur carrière et par rapport à ce qu'il peuvent apporter à la création dans ce pays aujourd'hui. Ce sont des artistes confirmés, expérimentés qui ont une longue pratique derrière eux et qui peuvent s'aligner à côté de n'importe quel plasticien en France et dans le monde. Le problème c'est que malgré leur expérience et leur savoir faire, ils n'ont pas le statut et la reconnaissance qu'ils devraient avoir.
Comment expliquez-vous cet état de fait ?
Pace que le passage au marché est très difficile et très problématique. A l'échelle européenne, la France a un problème particulier en la matière. Si on compare avec l'Allemagne, l'Angleterre, ou même les pays scandinaves qui ont une communauté africaine beaucoup plus modeste que nous, il y a une simplicité pour aborder d'autres vocabulaires artistiques qui n'existe pas ici. Et dès lors qu'il y a une adhésion des gens à leur travail, ces artistes trouvent tout naturellement leur place dans les galeries, sur le marché et dans des collections privées ou publiques. Quand Londres a organisé sa première saison africaine en 1995, les musées d'art africains y compris d'art traditionnel de la ville ont accueilli des artistes contemporains africains, sans présenter la moindre difficulté.
Si on essaye de transposer cette situation en France, que l'on demande au Louvre, à Orsay, à Beaubourg et quelques autres, d'accueillir temporairement ou dans leur collection des œuvres de tels artistes, ce serait insurmontable.
Beaubourg l'a quand même fait suite à l'exposition Africa Remix !
Oui, mais cela est tout récent, alors dans les grandes collections publiques anglaises les artistes africains sont présents depuis longtemps. A la biennale de Venise en 2001, le Pavillon anglais était investi par un artiste d'origine africaine. Un artiste d'origine nigériane, ayant grandi en Angleterre, qui représente la création britannique à la biennale de Venise….Qui peut imaginer aujourd'hui que les commissaires du pavillon français de Venise puissent inviter un Ousmane Sow, un Abdoulaye Konaté ou un Barthélemy Togo ? Or, il y aurait pertinence totale, y compris au plan international, à avoir au Pavillon français de la biennale de Venise un Barthélemy Togo représentant la création en France aujourd'hui. On peut aisément imaginer tous les obstacles qui seraient mis sur le chemin d'un tel projet.
Au cours de vos années de travail au sein d'une institution française comme l'Afaaa, vous avez dû toucher de près ces obstacles. Quels étaient-ils précisément ?
Je pense que ce sont des obstacles psychologiques, mentaux, des obstacles d'ordre mémoriel. Cela dit, là aussi je reste pondérée dans ma façon de regarder les choses. Etant métisse et ayant donc dû concilier, dès le départ, dans mon histoire personnelle, des apports culturels différents, je comprends les uns et les autres. Quand on regarde l'histoire contemporaine africaine, on voit à quel point l'Afrique a du mal à porter l'histoire de son esclavage, y compris dans les livres d'histoire. Même avec des méthodes d'enseignement réformées après la décolonisation, on voit à quel point l'histoire et la responsabilité de l'Afrique dans l'esclavage est difficile à assumer pour la mémoire collective. A partir du moment où l'on constate cette difficulté chez les africains en général, on peut comprendre que ceux qui ont entrepris cette aventure coloniale et cette entreprise commerçante de trafiquer des êtres humains, aient beaucoup de mal à revenir sur ce passé et à le regarder de façon sereine.
La France n'a pas été le seul pays colonisateur et les choses se passent pourtant différemment ailleurs…
C'est bien pour cela que je me réfère à l'expérience contemporaine du monde anglo-saxon où il y a une volonté de regarder ce passé un peu sereinement. On ne peut plus le changer mais le regarder sereinement c'est résoudre une partie des problèmes d'aujourd'hui. Et en Angleterre par exemple, on voit bien que la manière dont les artistes issus des minorités sont généralement acceptés et accueillis sur la scène artistique, résout probablement une partie des questions d'intégration qui peuvent se poser, par ailleurs, à la communauté. Ces artistes, en étant comme partout dans le monde une espèce de ciment social, sont des passerelles qui permettent à la communauté de se voir. Ils sont présents, intégrés dans les systèmes et dans les infrastructures qui fonctionnent en Grande Bretagne aujourd'hui. Ils sont visibles.
Ici, pourquoi les jeunes descendent dans la rue quels que soient les débordements ? Si les communautés dont beaucoup d'entre eux sont issus étaient représentées sur toutes les scènes artistiques en France, il y aurait probablement une meilleure fluidité, une meilleure circulation des idées et des hommes et cela permettrait également une circulation d'autres vocabulaires artistiques. Et c'est l'une des motivations de cette exposition qui présente des artistes dont certains sont en train de créer les modes d'expression de demain et que l'on aurait tout intérêt à regarder aujourd'hui.
Si on regarde ce qui se passe dans le monde de l'art à l'échelle de la planète, on se rend compte que dans toutes les avants gardes - aux Etats-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne et ailleurs - des artistes d'origine africaine ou caribéenne font des immenses carrières. Ils sont acquis dans des grandes galeries, des collections privées ou publiques ainsi que par les grandes institutions sans la moindre difficulté. Et ce, simplement parce qu'ils font un travail fort, puissant, que l'on ne peut plus contourner, que l'on est obligé de prendre en compte dans ce qui se passe aujourd'hui sur la scène artistique.
Le jour où la France sera capable d'accueillir ces artistes, de prendre les meilleurs, on ouvrira probablement des fenêtres dans la création contemporaine de ce pays, y compris dans le marché.
Comment expliquez-vous que nous en soyons encore là aujourd'hui ?
On peut cependant nuancer les choses. Il y a de très fortes résistances en France qui affaiblissent ce mouvement mais ne peuvent pas l'empêcher. C'est ce qui se passe. Si aujourd'hui une exposition comme Africa Remix a été possible à Beaubourg, qu'elle a été suivie par la suite d'acquisitions par le centre Pompidou de travaux d'artistes africains comme le grand El Anatsui, cela signifie que les choses évoluent malgré les freins. Il est certes étonnant qu'un artiste comme lui n'ait pas été repéré avant par un musée d'art contemporain en France, mais si Africa Remix a permis que ces artistes entrent enfin dans les grandes collections le pas franchi est indéniable.
L'expérience du Pont des arts d'Ousmane sow, indépendamment de tout jugement artistique, a eu un succès public incontestable. Le fait qu'elle était hors musée a montré les limites des politiques muséale, la frilosité des politiques et des conservateurs. Mais elle a aussi montré qu'en contournant l'institution, on arrive facilement à établir un lien entre le grand public et la création.
Mais le fait est que cette exposition a rencontré son public hors des murs de l'institution…
Oui mais son succès a prouvé que les musées pourraient remplir leur salle et avoir des visiteurs s'ils acceptaient de montrer cette création. Ce sont des preuves qui son faites par la négative, dans la difficulté, je dirai presque dans l'adversité, mais le mouvement est absolument irrésistible, même s' il reste vrai qu'en Franc e, ces résistances sont beaucoup plus fortes qu'ailleurs et qu'elles affaiblissent le monde de l'art français. Le jour où l'on acceptera de faire la connexion entre les faiblesses reconnues de la scène artistique française et les résistances à la pénétration de cette création, on résoudra le problème. La diversité artistique et culturelle, le multiculturalisme, passent aussi par le monde de l'art même s'il n'en a pas encore pris la mesure.
L'institution française par le biais de l'Afaa soutient depuis près de vingt la création africaine. Quels en sont les principaux apports compte tenu des moyens mis en œuvre ?
Les moyens - pas si énormes que certains ont pu l'imaginer - qui ont été investis pour la création contemporaine africaine a été décisif dans beaucoup d'endroits. La photographie africaine ne serait pas présente dans tous les grands évènements photographiques internationaux ou dans les grandes expositions aujourd'hui, si on n'avait pas injecté les moyens financiers qui ont permis de rendre visible quelque chose qui existait déjà.
Elle était complètement démunie et n'avait aucun moyen de circuler, d'être diffusée et donc d'être vue. Les arts visuels qui ne sont pas vus, sont absolument inexistants pour reprendre l'expression de Salah Hassan.
Ces programmes qui ont permis aux artistes de se professionnaliser ont rendu visibles quelque chose qui était invisible et ont montré la pertinence du travail de ces artistes, leur modernité, leur insertion dans les expressions contemporaines à part entière. Les artistes d'origine africaine, qu'ils soient de là bas ou d'ici, traitent de problèmes brûlants. Ils nous parlent de chose qui nous entourent et qui font partie de notre quotidien.
Ils ont certes plus de visibilité qu'avant mais ce n'est pas pour autant que les portes des collections privées et publiques leur sont ouvertes…
C'est un peu face à cette contradiction que l'exposition s'inscrit. L'œuvre "Le gris gris blanc" d'Abdoulaye Konaté appartient depuis peu à la collection privée de Miguel Barcélo qui a eu l'élégance et la gentillesse de la mettre à notre disposition. Les oeuvres de Dolo appartiennent à la collection de Michel Fedoroff qui est un très grand collectionneur, celle de Béthé Sélassié est présente dans des collections publiques en France de même que celle de Myrima Ba qui est au Frac Champagne Ardennes. Il y a quelques timides entrées dans les collections publiques qui - tout comme les musées - jouent un rôle de validation. Dès lors que les musées vont accorder leur intérêt à ce pan entier de la création en France, il est évident qu'on va décomplexer les collectionneurs, y compris les collectionneurs privés. Cela dit, les collections publiques et privées françaises sont en retrait par rapport à celles d'Allemagne, des Pays-Bas, de Scandinavie, d'Angleterre ou des Etats-Unis. Et cette question nous ramène peut-être à cette soit disant apathie du marché de l'art en France.
Les artistes qui ont participé à cette exposition appartiennent plus ou moins à la même génération. Etait-ce un parti pris de départ ?
Un artiste mature a un passé créatif de quinze ou vingt ans d'expérience derrière lui. Cela signifie qu'il a eu le temps de découvrir son univers, de choisir ses techniques et ses supports. La qualité de cette exposition repose aussi sur la variété des supports tels que les installations, la vidéo, la photographie, la peinture ou la sculpture. Les matériaux utilisés et les démarches artistiques sont très différents. Il y a des oeuvres plus classiques et plus pures comme celles de Diagne Chanel qui pourraient battre en brèche les clichés sur la création africaine. C'est une technicienne hors pair qui maîtrise toutes les techniques des plus anciennes aux plus modernes. Elle a par ailleurs commencé un travail sur l'image (photographique et vidéo) dans lequel se ressentent son univers visuel et son expérience. Avec Métis dans les villes, elle a construit toute une réflexion visuelle à partir d'un travail vidéo en noir et blanc, questionnant les notions de double appartenance, de multiculturalisme et méditant sur la manière dont les cultures coexistent à l'intérieur même des êtres. C'est aussi avec de tels sujets que l'on peut apporter quelque chose à la société française d'aujourd'hui et Diagne Chanel en est un bon exemple.
Présence africaine en France s'est ouverte à Bordeaux mais la logique de son propos voudrait qu'elle puisse être vue dans toute la France? Une tournée est-elle prévue ?
Nous aimerions bien évidemment que cette exposition soit itinérante et c'est dans ce sens que le projet a été conçu. Nous explorons actuellement les différentes pistes qui nous permettraient de la montrer dans d'autres villes de France. A terme nous voudrions enchaîner sur une série d'expositions en sortant peut-être de l'exposition collective qui est un peu la rengaine pour les artistes africains qui sont démotivés et démobilisés sur ce type d'exposition. Tous les artistes de Présence africaine en France ont un travail et un corpus suffisamment fort pour mériter une exposition personnelle. On arrive à un stade où il devient urgent de les faire sortir de ce ghetto artistique dans lequel ils ont été enfermés et qui est en train de se fissurer de toute part. Il serait temps de susciter des dialogues artistiques, de monter des expositions transversales qui permettraient des confrontations entre artistes. Je rêve d'une confrontation entre Miguel Barcelo et Barthélemy Togo, ou un travail entre Diagne Chanel et Philippe Garel, artiste français, qui ont des univers à la fois parallèle, totalement différents et qui pourraient dialoguer de façon puissante. Et bien sûr il devient nécessaire de leur permettre de déployer leurs œuvres récentes de manière détaillée et fine à travers des expositions individuelles qui laisseraient libre court à toutes les subtilités de leur travail et à leur virtuosité. Ce serait l'occasion de montrer à quel point leur niveau et leur qualité peuvent se mesurer à n'importe quel artiste français, présent dans les grands musées où il bénéficie d'une visibilité auxquels ces artistes n'ont pas accès.
Les artistes présentés dans cette exposition ont en partage une expérience politique et historique. Ils ont un tronc culturel commun qui sont les sources africaines, l'expérience coloniale et post coloniale ainsi que l'expérience post-moderne pour les caribéens. Ayant tout cela en partage, l'on retrouve forcément dans leur travail cette expérience commune qui constitue un peu le fil rouge de l'exposition. De plus, au regard posé sur les évènements que la France a traversé depuis les émeutes qui se sont déroulées dans les banlieues en novembre 2005, il nous a semblé intéressant, avec Guy Lenoir, directeur de MC2a, de questionner la création artistique de la diaspora africaine en France dans sa visibilité ou son invisibilité et dans sa présence ou son absence du marché.
Dans ce contexte et au delà de la référence à la célèbre revue, le choix du titre de l'exposition est loin d'être anodin, il ferait presque figure de manifeste…
La formule d'une "présence africaine" forgée il y a en 1947 par Alioune Diop, reste absolument valide. La modernité nous incite à y mettre un pluriel qui ne s'imposait pas à l'époque. Et cela est important car la formule de Diop est liée à une volonté d'unification politique du continent africain, à travers les mouvements d'indépendance mais aussi de structures continentales comme l'Oua (Organisation de l'unité africaine) de l'époque. L'idée du panafricanisme, au lieu de dire que nous avons des cultures dit que nous partageons une culture. Quand on lit les actes du Congrès des écrivains et artistes noirs dont le cinquantenaire a été récemment célébré, on mesure à quel point le débat autour de la question d'appartenance ou de non-apartenance à une même culture a été fondamental pour ses participants.
Ce choix de titre s'inscrit presque en porte à faux avec la politique ambiante qui tend à repousser cette "présence africaine en France". Y-a t-il une dimension politique dans ce choix ?
Oui mais je ne veux pas tomber dans le piège de réduire cette démarche à une couleur de peau dont on sait parfaitement qu'elle ne fait référence à rien d'autre qu'à un épiderme. On voit ça tous les jours sur la scène médiatique. Dans cette exposition, on parle de culture, on parle d'art, on parle d'expression, on parle d'âme et on ne peut donc pas s'enfermer dans une couleur de peau. La notion d'Afrique et de matrice africaine devient opératoire. Elle nous pousse à réfléchir avec toutes nos armes et avec toute notre mémoire.
Cette exposition se pose t-elle avant tout comme une volonté affichée de favoriser la reconnaissance des artistes qui ne peuvent pas s'imposer réellement ?
Cet état de fait pourrait s'appliquer d'une manière générale à tous les cercles professionnels L'émergence de ces artistes est difficile au même titre qu'elle peut l'être pour toutes les personnes issues d'une minorité en France. Le choix des artistes présents dans cette exposition affiche aussi une volonté d'échapper à cette crise de jeunisme dans laquelle on est tous plongés en France. En dehors d'Amahigueré Dolo et d'Abdoulaye Konaté, nous sommes en présence d'artistes qui ont développé, depuis vingt ans, tout leur savoir faire et leur virtuosité artistique en France et c'est extrêmement important pour comprendre dans quelle configuration on se place. Il ne s'agit pas d'artistes débutants et c'est en cela que les choses sont très préoccupantes par rapport à leur carrière et par rapport à ce qu'il peuvent apporter à la création dans ce pays aujourd'hui. Ce sont des artistes confirmés, expérimentés qui ont une longue pratique derrière eux et qui peuvent s'aligner à côté de n'importe quel plasticien en France et dans le monde. Le problème c'est que malgré leur expérience et leur savoir faire, ils n'ont pas le statut et la reconnaissance qu'ils devraient avoir.
Comment expliquez-vous cet état de fait ?
Pace que le passage au marché est très difficile et très problématique. A l'échelle européenne, la France a un problème particulier en la matière. Si on compare avec l'Allemagne, l'Angleterre, ou même les pays scandinaves qui ont une communauté africaine beaucoup plus modeste que nous, il y a une simplicité pour aborder d'autres vocabulaires artistiques qui n'existe pas ici. Et dès lors qu'il y a une adhésion des gens à leur travail, ces artistes trouvent tout naturellement leur place dans les galeries, sur le marché et dans des collections privées ou publiques. Quand Londres a organisé sa première saison africaine en 1995, les musées d'art africains y compris d'art traditionnel de la ville ont accueilli des artistes contemporains africains, sans présenter la moindre difficulté.
Si on essaye de transposer cette situation en France, que l'on demande au Louvre, à Orsay, à Beaubourg et quelques autres, d'accueillir temporairement ou dans leur collection des œuvres de tels artistes, ce serait insurmontable.
Beaubourg l'a quand même fait suite à l'exposition Africa Remix !
Oui, mais cela est tout récent, alors dans les grandes collections publiques anglaises les artistes africains sont présents depuis longtemps. A la biennale de Venise en 2001, le Pavillon anglais était investi par un artiste d'origine africaine. Un artiste d'origine nigériane, ayant grandi en Angleterre, qui représente la création britannique à la biennale de Venise….Qui peut imaginer aujourd'hui que les commissaires du pavillon français de Venise puissent inviter un Ousmane Sow, un Abdoulaye Konaté ou un Barthélemy Togo ? Or, il y aurait pertinence totale, y compris au plan international, à avoir au Pavillon français de la biennale de Venise un Barthélemy Togo représentant la création en France aujourd'hui. On peut aisément imaginer tous les obstacles qui seraient mis sur le chemin d'un tel projet.
Au cours de vos années de travail au sein d'une institution française comme l'Afaaa, vous avez dû toucher de près ces obstacles. Quels étaient-ils précisément ?
Je pense que ce sont des obstacles psychologiques, mentaux, des obstacles d'ordre mémoriel. Cela dit, là aussi je reste pondérée dans ma façon de regarder les choses. Etant métisse et ayant donc dû concilier, dès le départ, dans mon histoire personnelle, des apports culturels différents, je comprends les uns et les autres. Quand on regarde l'histoire contemporaine africaine, on voit à quel point l'Afrique a du mal à porter l'histoire de son esclavage, y compris dans les livres d'histoire. Même avec des méthodes d'enseignement réformées après la décolonisation, on voit à quel point l'histoire et la responsabilité de l'Afrique dans l'esclavage est difficile à assumer pour la mémoire collective. A partir du moment où l'on constate cette difficulté chez les africains en général, on peut comprendre que ceux qui ont entrepris cette aventure coloniale et cette entreprise commerçante de trafiquer des êtres humains, aient beaucoup de mal à revenir sur ce passé et à le regarder de façon sereine.
La France n'a pas été le seul pays colonisateur et les choses se passent pourtant différemment ailleurs…
C'est bien pour cela que je me réfère à l'expérience contemporaine du monde anglo-saxon où il y a une volonté de regarder ce passé un peu sereinement. On ne peut plus le changer mais le regarder sereinement c'est résoudre une partie des problèmes d'aujourd'hui. Et en Angleterre par exemple, on voit bien que la manière dont les artistes issus des minorités sont généralement acceptés et accueillis sur la scène artistique, résout probablement une partie des questions d'intégration qui peuvent se poser, par ailleurs, à la communauté. Ces artistes, en étant comme partout dans le monde une espèce de ciment social, sont des passerelles qui permettent à la communauté de se voir. Ils sont présents, intégrés dans les systèmes et dans les infrastructures qui fonctionnent en Grande Bretagne aujourd'hui. Ils sont visibles.
Ici, pourquoi les jeunes descendent dans la rue quels que soient les débordements ? Si les communautés dont beaucoup d'entre eux sont issus étaient représentées sur toutes les scènes artistiques en France, il y aurait probablement une meilleure fluidité, une meilleure circulation des idées et des hommes et cela permettrait également une circulation d'autres vocabulaires artistiques. Et c'est l'une des motivations de cette exposition qui présente des artistes dont certains sont en train de créer les modes d'expression de demain et que l'on aurait tout intérêt à regarder aujourd'hui.
Si on regarde ce qui se passe dans le monde de l'art à l'échelle de la planète, on se rend compte que dans toutes les avants gardes - aux Etats-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne et ailleurs - des artistes d'origine africaine ou caribéenne font des immenses carrières. Ils sont acquis dans des grandes galeries, des collections privées ou publiques ainsi que par les grandes institutions sans la moindre difficulté. Et ce, simplement parce qu'ils font un travail fort, puissant, que l'on ne peut plus contourner, que l'on est obligé de prendre en compte dans ce qui se passe aujourd'hui sur la scène artistique.
Le jour où la France sera capable d'accueillir ces artistes, de prendre les meilleurs, on ouvrira probablement des fenêtres dans la création contemporaine de ce pays, y compris dans le marché.
Comment expliquez-vous que nous en soyons encore là aujourd'hui ?
On peut cependant nuancer les choses. Il y a de très fortes résistances en France qui affaiblissent ce mouvement mais ne peuvent pas l'empêcher. C'est ce qui se passe. Si aujourd'hui une exposition comme Africa Remix a été possible à Beaubourg, qu'elle a été suivie par la suite d'acquisitions par le centre Pompidou de travaux d'artistes africains comme le grand El Anatsui, cela signifie que les choses évoluent malgré les freins. Il est certes étonnant qu'un artiste comme lui n'ait pas été repéré avant par un musée d'art contemporain en France, mais si Africa Remix a permis que ces artistes entrent enfin dans les grandes collections le pas franchi est indéniable.
L'expérience du Pont des arts d'Ousmane sow, indépendamment de tout jugement artistique, a eu un succès public incontestable. Le fait qu'elle était hors musée a montré les limites des politiques muséale, la frilosité des politiques et des conservateurs. Mais elle a aussi montré qu'en contournant l'institution, on arrive facilement à établir un lien entre le grand public et la création.
Mais le fait est que cette exposition a rencontré son public hors des murs de l'institution…
Oui mais son succès a prouvé que les musées pourraient remplir leur salle et avoir des visiteurs s'ils acceptaient de montrer cette création. Ce sont des preuves qui son faites par la négative, dans la difficulté, je dirai presque dans l'adversité, mais le mouvement est absolument irrésistible, même s' il reste vrai qu'en Franc e, ces résistances sont beaucoup plus fortes qu'ailleurs et qu'elles affaiblissent le monde de l'art français. Le jour où l'on acceptera de faire la connexion entre les faiblesses reconnues de la scène artistique française et les résistances à la pénétration de cette création, on résoudra le problème. La diversité artistique et culturelle, le multiculturalisme, passent aussi par le monde de l'art même s'il n'en a pas encore pris la mesure.
L'institution française par le biais de l'Afaa soutient depuis près de vingt la création africaine. Quels en sont les principaux apports compte tenu des moyens mis en œuvre ?
Les moyens - pas si énormes que certains ont pu l'imaginer - qui ont été investis pour la création contemporaine africaine a été décisif dans beaucoup d'endroits. La photographie africaine ne serait pas présente dans tous les grands évènements photographiques internationaux ou dans les grandes expositions aujourd'hui, si on n'avait pas injecté les moyens financiers qui ont permis de rendre visible quelque chose qui existait déjà.
Elle était complètement démunie et n'avait aucun moyen de circuler, d'être diffusée et donc d'être vue. Les arts visuels qui ne sont pas vus, sont absolument inexistants pour reprendre l'expression de Salah Hassan.
Ces programmes qui ont permis aux artistes de se professionnaliser ont rendu visibles quelque chose qui était invisible et ont montré la pertinence du travail de ces artistes, leur modernité, leur insertion dans les expressions contemporaines à part entière. Les artistes d'origine africaine, qu'ils soient de là bas ou d'ici, traitent de problèmes brûlants. Ils nous parlent de chose qui nous entourent et qui font partie de notre quotidien.
Ils ont certes plus de visibilité qu'avant mais ce n'est pas pour autant que les portes des collections privées et publiques leur sont ouvertes…
C'est un peu face à cette contradiction que l'exposition s'inscrit. L'œuvre "Le gris gris blanc" d'Abdoulaye Konaté appartient depuis peu à la collection privée de Miguel Barcélo qui a eu l'élégance et la gentillesse de la mettre à notre disposition. Les oeuvres de Dolo appartiennent à la collection de Michel Fedoroff qui est un très grand collectionneur, celle de Béthé Sélassié est présente dans des collections publiques en France de même que celle de Myrima Ba qui est au Frac Champagne Ardennes. Il y a quelques timides entrées dans les collections publiques qui - tout comme les musées - jouent un rôle de validation. Dès lors que les musées vont accorder leur intérêt à ce pan entier de la création en France, il est évident qu'on va décomplexer les collectionneurs, y compris les collectionneurs privés. Cela dit, les collections publiques et privées françaises sont en retrait par rapport à celles d'Allemagne, des Pays-Bas, de Scandinavie, d'Angleterre ou des Etats-Unis. Et cette question nous ramène peut-être à cette soit disant apathie du marché de l'art en France.
Les artistes qui ont participé à cette exposition appartiennent plus ou moins à la même génération. Etait-ce un parti pris de départ ?
Un artiste mature a un passé créatif de quinze ou vingt ans d'expérience derrière lui. Cela signifie qu'il a eu le temps de découvrir son univers, de choisir ses techniques et ses supports. La qualité de cette exposition repose aussi sur la variété des supports tels que les installations, la vidéo, la photographie, la peinture ou la sculpture. Les matériaux utilisés et les démarches artistiques sont très différents. Il y a des oeuvres plus classiques et plus pures comme celles de Diagne Chanel qui pourraient battre en brèche les clichés sur la création africaine. C'est une technicienne hors pair qui maîtrise toutes les techniques des plus anciennes aux plus modernes. Elle a par ailleurs commencé un travail sur l'image (photographique et vidéo) dans lequel se ressentent son univers visuel et son expérience. Avec Métis dans les villes, elle a construit toute une réflexion visuelle à partir d'un travail vidéo en noir et blanc, questionnant les notions de double appartenance, de multiculturalisme et méditant sur la manière dont les cultures coexistent à l'intérieur même des êtres. C'est aussi avec de tels sujets que l'on peut apporter quelque chose à la société française d'aujourd'hui et Diagne Chanel en est un bon exemple.
Présence africaine en France s'est ouverte à Bordeaux mais la logique de son propos voudrait qu'elle puisse être vue dans toute la France? Une tournée est-elle prévue ?
Nous aimerions bien évidemment que cette exposition soit itinérante et c'est dans ce sens que le projet a été conçu. Nous explorons actuellement les différentes pistes qui nous permettraient de la montrer dans d'autres villes de France. A terme nous voudrions enchaîner sur une série d'expositions en sortant peut-être de l'exposition collective qui est un peu la rengaine pour les artistes africains qui sont démotivés et démobilisés sur ce type d'exposition. Tous les artistes de Présence africaine en France ont un travail et un corpus suffisamment fort pour mériter une exposition personnelle. On arrive à un stade où il devient urgent de les faire sortir de ce ghetto artistique dans lequel ils ont été enfermés et qui est en train de se fissurer de toute part. Il serait temps de susciter des dialogues artistiques, de monter des expositions transversales qui permettraient des confrontations entre artistes. Je rêve d'une confrontation entre Miguel Barcelo et Barthélemy Togo, ou un travail entre Diagne Chanel et Philippe Garel, artiste français, qui ont des univers à la fois parallèle, totalement différents et qui pourraient dialoguer de façon puissante. Et bien sûr il devient nécessaire de leur permettre de déployer leurs œuvres récentes de manière détaillée et fine à travers des expositions individuelles qui laisseraient libre court à toutes les subtilités de leur travail et à leur virtuosité. Ce serait l'occasion de montrer à quel point leur niveau et leur qualité peuvent se mesurer à n'importe quel artiste français, présent dans les grands musées où il bénéficie d'une visibilité auxquels ces artistes n'ont pas accès.
(1): Directrice du site www.Artunivers.com
AWADI "SENEGAL"
Provoquer le débat entretien d'Olivier Barlet avec Didier Awadi à propos de "Le Point de vue du lion"
"Sur le plan technique, n'attendez pas du Spielberg ou du Spike Lee. Mon message est panafricaniste" : ainsi débute Le Point de vue du lion, le documentaire réalisé sur plusieurs années par le rappeur engagé Didier Awadi. Il oppose le point de vue du chasseur (la façon dont la télé couvre les brûleurs qui traversent la Méditerranée) et celui du lion (les paroles de migrants). Et s'attachera une heure quinze durant à donner force à ce point de vue, convoquant successivement en une avalanche d'interviews ou d'archives Tiken Jah Fakoly, Aminata Traoré, Babacar Sall, Cheikh Amidou Kane, Thomas Sankara, Abdou Diouf, Jacques Foccart, Aimé Césaire, Théophile Obenga, Kwame Nkrumah, Cheikh Anta Diop pour en appeler à une révolution culturelle et mentale réalisée par la société civile. Comme pour le rap, Didier Awadi croit au cinéma comme acte de parole militante. Rencontre au festival de Cannes 2011 où le film, accueilli par le Pavillon des cinémas du monde, est présenté au marché du film.
On vous connaît comme rappeur et vous voilà réalisateur : que s'est-il passé ?
Je me suis dit que le cinéma est un moyen de communiquer et en même temps, c'est assez logique : on a une boite de production, on fait des clips, de la publicité et des documentaires. Il est aisé de passer de l'autre côté de la caméra. Et pour la réhabilitation de l'image africaine, le cinéma, la télévision, internet sont importants. La musique est un début de preuve, le cinéma l'apporte complètement.
Vous partez d'un proverbe qui fait la trame du film : "Tant que les lions n'auront pas leurs historiens, les histoires de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur".
Oui, c'est un proverbe bantou. Toutes les politiques africaines sont décidées par l'Autre et pas par les Africains eux-mêmes. Il faudrait qu'ils puissent dire leur point de vue sur la politique, la colonisation, la décolonisation, les bases étrangères présentes sur notre territoire, sur la monnaie coloniale qui est toujours en vigueur, les questions d'immigration alors qu'on accueille le monde entier mais qu'on ne veut de nous nulle part. Il y a une hypocrisie ambiante qu'il faut dénoncer et il faut se battre contre cet état de faits.
Votre film fait largement référence à des philosophes africains comme Théophile Obenga et à des personnalités comme Thomas Sankara, et vous utilisez de nombreuses archives. Comment s'est passée cette quête de paroles ?
J'ai commencé à chercher les archives pour le projet "Président d'Afrique" dont ce film est une déclinaison. On a cherché beaucoup d'archives audio et visuelles pour accompagner l'album et on en a retrouvé sur Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Jomo Kenyatta, Julius Nyerere, etc. pour que nous sachions d'où nous venons et où nous voulons aller. Certains grands hommes ont déjà jalonné la voie et il nous faut continuer leur travail.
Le film est produit par Sankara productions, de quoi s'agit-il ?
C'est ma boite de production, basée à Dakar, et dont la devise est "oser inventer l'avenir", c'est-à-dire qu'on a envie de travailler en indépendants, avec nos propres forces, en s'ouvrant au monde. Studio Sankara est parti de Positive Black Soul qui a démarré en 1989, et agit en tous sens en indépendants : productions audiovisuelles, événementiel, label phonographique, publicités, etc. Pour ce film, nous avons travaillé avec Vincent Valluet qui est un réalisateur français. Nous sommes ouverts à toute forme de collaboration et de partenariat dans le respect de chacun.
Le film passe de la constatation du manque d'indépendance actuel à l'idée centrale d'une véritable indépendance en en appelant à l'unité africaine. Vous répétez là le discours des anciens. Est-ce essentiel aujourd'hui de répéter ainsi toujours les mêmes choses ?
Ce discours, cela fait cinquante ans qu'on le tient. On va continuer car les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce qui avait poussé Kwame Nkrumah à parler d'unité africaine est aujourd'hui encore plus dramatique. Il y a longtemps qu'on a le diagnostic. Le remède c'est l'unité africaine. Il faut le répéter. Ce n'est pas utopiste ou redondant ni de la naïveté. On a fait un grand pas à l'échelle de l'Histoire avec l'Organisation de l'Unité africaine. Tous les pays du Continent sont indépendants et il faut aller vers l'unité : armée, banque centrale, monnaie uniques !
Vous reprenez dans le film ce message à la Gandhi que tenait Sankara : consommer local, manger local, etc. Les jeunes qui circulent en jean ont pourtant davantage l'envie d'appartenir au monde que de se définir africains. Comment articulez-vous cela ? Si on aime les jeans, on n'a qu'à produire des jeans. On ne va pas vivre à la traditionnelle. En 2011, je ne vais pas me retirer dans une case pour faire roots. Je ne suis pas de cette génération. Par contre, je peux porter les habits d'un styliste africain, très moderne, très frais, très urbain. Je vais me retrouver dedans. Et je vais me battre pour qu'il ait une qualité égale à ce que je vois ailleurs. Ce n'est donc pas un retour vers le passé mais il faut un contenu africain à la télé ou sur internet. Ce n'est pas un retour au tam-tam.
C'est un film qui table énormément sur la parole. Ce choix documentaire assez radical fait qu'il n'est pas facile pour le public d'absorber cette intensité sur la durée. Pourquoi ce choix ?
On le dit dès le début : c'est un message qu'on veut faire passer. C'est un débat qui doit être posé, quelque soit la manière. C'est un choix qui n'est pas esthétique : on ne peut pas faire l'économie du débat.
C'est vraiment un débat de paroles.
Oui. On a hésité à mettre des plans de coupe mais quant tu vois la force de ceux qui parlent et la sincérité de ce qu'ils disent, tu n'as pas besoin de plan de coupe. C'est un film à voir et revoir, ce qui permet de s'attacher à des personnages. Sur des gens aussi connus, on ne peut pas mettre des plans de coupe. Je ne suis pas caméraman. J'ai réalisé les entretiens par moi-même, sans un cadreur etc. On n'aurait pas eu les moyens.
Vous avez mis longtemps à le faire ?
Oui, sur 4-5 ans. Comme j'ai la chance de beaucoup voyager en Afrique, je saisissais les opportunités. Je me suis rendu compte que j'avais un film à faire.
Et pour la diffusion ?
Je suis à Cannes pour rechercher des distributeurs. Pour moi, c'est tout nouveau tout ça !
Et en Afrique même ?
Je vais l'offrir aux télévisions et le diffuser dans les écoles, les universités, et en faire un point de débat avec des gens pointus. Mon objectif, c'est le débat.
C'est un film de combat.
Oui. Chacun ses armes. J'avais la musique, en voilà une autre. On se bat avec des armes pacifiques mais qui feront mouche aussi ! En tout cas, on l'espère et c'est pour ça qu'on le fait.
Ses textes engagés ont fait de lui la star du reggae africain. Inépuisable pourfendeur des politiciens, porte-parole des sans-voix et apôtre d'une nouvelle gouvernance pour l'Afrique, Tiken Jah Fakoly ne mâche pas ses mots et interpelle les dirigeants. En 2010, l'artiste ivoirien a franchi un nouveau cap. Après dix albums, son dernier opus, "African Revolution", emprunte une nouvelle direction artistique, unanimement acclamée. Tiken Jah Fakoly suit les traces de son illustre aîné, Alpha Blondy. Ses textes engagés ont fait de lui le nouveau griot du reggae africain. Doumbia Moussa Fakoly naît le 23 juin 1968 à Odienné, en Côte d'Ivoire. En 1987, il monte son premier groupe de reggae, Djelys, qui connaîtra un succès régional et fera notamment la première partie de Solo Jah Gunt en 1992. De plus en plus en vue, le groupe sort un premier album ("Djelys", en 1993), puis un deuxième, "Missiri", en 1994. C'est à la même époque que Tiken Jah Fakoly va développer sa fibre politique. Alors que les élections consécutives à la mort de Houphouët Boigny après 30 ans de pouvoir provoquent de nombreuses manifestations, Tiken Jah Fakoly se fait l'écho des revendications de la jeunesse. Devenu artiste solo, il sort en 1996 "Mangercratie", qui va le rendre célèbre. « On a vu toutes les autres "craties", maintenant on veut la mangercratie ou rien », scande le titre éponyme. C'est seulement en 1998 que la France pourra découvrir cet album chez Barclay. Le succès est en marche. En 2000 sort son album "Cours d'Histoire". Les tournées s'enchaînent : on le voit au Garance Reggae Festival à Bercy puis en première partie de Israel Vibration. En février 2002, "Françafrique" enregistré en Jamaïque dans les studios Tuff Gong, finit d'asseoir sa popularité. Son message, parfois naïf, est toujours ancré dans une réalité quotidienne. Ses textes sans concession sur l'administration africaine le contraignent à l'exil : impossible pour lui de revenir en Côte d'Ivoire sans craindre pour sa sécurité. « Je n'ai pas peur, déclara-t-il à l'époque. Si on doit m'Assassiner parce que je dis une vérité, pas de problème, je suis prêt. Il faut quelqu'un pour dire ces choses, et je m'en charge. » Sa notoriété ne fait qu'accroître son engagement en faveur de l'Afrique. En 1998, pendant la Coupe du Monde en France, il est présent au Forum du Monde. Il participe à la compilation "Drop the Debt" en 2003, et on le voit au concert d'ouverture d' "Un autre sommet pour l'Afrique", contre-manifestation organisée en réponse au sommet France-Afrique. Et lorsqu'il est primé aux Victoires de la musique française pour son album "Françafrique", il n'hésite pas à en faire une tribune pour diffuser son message. Tiken Jah Fakoly revient sur le devant de la scène en 2004 avec son meilleur album, "Coup de Gueule" : le griot n'a pas baissé les armes. Il le montre une fois encore avec "L'Africain" en 2007, avant de changer de direction artistique pour "African Revolution" en 2010. Exit le piano, les cuivres et les chœurs féminins qui abondaient sur les précédents opus. Désormais, le skank se met en retrait, pour mieux souligner le soukou, le balafon ou la kora. Source : Reggaefrance.com |